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Par Mohamed Ammar : Devoir de réponse à un intellectuel tunisien : Fan ‘’d’une révolution printanière’’ – 2ème partie

Par Mohamed Ammar : Devoir de réponse à un intellectuel tunisien : Fan ‘’d’une révolution printanière’’ – 2ème partie

Lien de la première partie : https://www.tunisienumerique.com/par-mohamed-ammar-devoir-de-reponse-a-un-intellectuel-tunisien-fan-dune-revolution-printaniere-1ere-partie/

J’ai démontré, dans la première partie, que l’interview de  Hichem Djait, s’est appliquée à propager la thèse impériale selon laquelle la Tunisie ‘’révolutionnaire’’ poursuit le ‘’processus démocratique’’, que la crise politique, économique et sociale est la rançon de la démocratie. C’est le discours répandu par nos ‘’amis américains’’ dont les stratèges ont décidé de répandre le chaos dans le Grand Moyen-Orient’’. Faisant fi de la nature des rapports de force dans l’économie-monde capitaliste, en implosion depuis les années soixante dix du XXe siècle, l’interviewé croit à  la démocratie  des dominants. Pourtant le libéralisme est fondamentalement antidémocratique. Depuis la Révolution française, les libéraux ont prôné   le gouvernement des meilleurs- l’aristocratie- précisément afin d’éviter le gouvernement par tous- la démocratie. En outre, depuis les années quatre vingt du XXe siècle, l’économie mondiale est en crise structurelle, en grande turbulence. Le capitalisme contemporain devient un capitalisme des monopoles généralisés qui est le produit d’une étape nouvelle de la centralisation du capital dans les pays de la triade (les Etats-Unis, l’Europe occidentale et centrale, le Japon) qui s’est déployée au cours des années 1980 et 1990 (Voir, Samir Amin, l’Implosion du capitalisme contemporain, automne du capitalisme, printemps des peuples ?, éditions delga, 2012). Dans le capitalisme contemporain, le pouvoir «  des monopoles généralisés, mondialisés et financiarisés » subordonne le pouvoir politique et médiatique aux exigences de son propre déploiement. L’autonomie relative des médias comme des politiques est nettement rognée. Le monde ne vit pas un moment d’avancée démocratique…

Le chaos démocratique

La Tunisie est dans un état délabré, lamentable. Tous les indices économiques sont au rouge. Ainsi, le taux de croissance pour 2020 est passé à -8,8% alors qu’en 2010, ce taux était de 3,511. Des secteurs industriels ont été abandonnés. La Tunisie ‘’démocratique, dixit les propagateurs du chaos, perd définitivement sa position dans le marché du phosphate. Les institutions financières internationales, complices de cette dégradation générale, usent de cette situation pour imposer la privatisation du secteur public. On saisit que l’ex Ambassadeur de l’Union européenne donne une interview au journal Le Monde pour attribuer la situation économique calamiteuse au rôle maléfique de quelques familles… Bien entendu, le camouflage est une stratégie spécifique du capitalisme historique. Joseph E. Stiglitz, Prix Nobel d’économie et ancien conseiller de Bill Clinton a déjà démontré que « les règles du jeu économique mondial ne sont fixés qu’en fonction des intérêts des pays industrialisés- et de certains intérêts privés en leur sein (Voir, Joseph E. Stiglitz, La grande désillusion, édition Fayard ; 2002). Lors de la visite de Christine Lagarde, alors Directrice du FMI en 2012, j’ai écrit un article résumant l’activité de cette institution née à Bretton Woods, le 27/12/1945. Créée par les Etats-Unis, elle est chargée, de répandre libéralisme (le fanatisme du marché).  L’institution impose le libéralisme aux pays du Sud, devenus indépendants. Or le libéralisme, c’est la politique d’austérité, la libéralisation des marchés des capitaux et les privatisations (Voir Mohamed Ammar, Le jeu dans le discours de M. la Directrice du FMI, en arabe, paru dans journal du Maghreb en 2012).

Pourtant Hichem Djait considère que le désordre dans le pays est produit par le système démocratique « qui se base sur des valeurs importantes et fondamentales : la liberté, la responsabilité des dirigeants, l’expression de l’opinion publique, la non répression des idées. Il justifie même le désordre en soutenant qu’au fond « …contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays, il n’y a ni guerre civile, ni milices chez nous ».Il omet de mentionner que chez nous, les Khouangias dévalisent les Caisses sociales, détruisent sciemment l’Administration  en la noyautant, instrumentalisent la justice. De cette manière, ils satisfont les néoconservateurs américain qui ont décidé de détruire les structures étatiques des pays du ‘’Grand Moyen-Orient’’ (Voir, Mohamed Ammar, Le chaos. La nouvelle stratégie US, www.tunisienumerique.com). En outre, souligne t-il, « le système démocratique des Etats-Unis, d’Europe ou encore chez nous, ce n’est pas la tranquillité de la société ». Bref, la Tunisie est sur la voie démocratique donc il n’y a pas de crise. Tout simplement, «  il ya une forme de désordre maitrisé au début de la révolution alors qu’actuellement on assiste à une autre forme de désordre ??? ». Les  stratèges de l’Empire ont dû être  agréablement surpris par cette conception de la ‘’démocratie’’. De leur point de vue, en effet, la démocratie n’est pas le résultat de certaines préconditions structurelles (réforme des régimes économiques, modification des habitus, émergence progressive d’une sphère publique et d’une société civile) mais plutôt comme un choix de nature intrinsèquement politique et volontariste. Sa forme achevée se révèle à travers la justice transitionnelle, cet autre instrument de propagation du chaos fruit d’une collaboration entre l’Etat américain et ses plus grandes fondations philanthropiques. Son origine explique que toutes les malversations de la présidente de l’Instance, établies par la Cour des Comptes, demeurent impunies. Seul un intellectuel, courroie de transmission des dominants, peut se convaincre de la démocratisation, mobilisée par des fondations américaines (Voir Mohamed Ammar, Contre la manipulation, le combat. Une recette mythique : la justice transitionnelle, tunisienumerique.tn). Alors, faut-il attirer l’attention des ‘’démocrates libéraux’’ embabouinés que les big data – (Google, Apple, Facebook, Amazon) ces géants du numérique qui aspirent, à travers Internet, smartphones et objets connectés, des milliards de données sur nos vies – considèrent que la démocratie est obsolète tout comme ses valeurs universelles.  En outre, je rafraichis leur mémoire en leur rappelant la manipulation par Facebook des ‘’révolutions colorées’’ des pays de l’Europe de l’Est et  des ‘’printemps sionistes’’. Last but not least, les quelques experts réunis par les multinationales et les groupes de pression  examinèrent les hypothèses de survie du système capitaliste. Leur conclusion est conforme à l’attente des mandants : il est grand temps d’en finir avec la démocratie (Voir Susan George, Cette fois, en finir avec la démocratie : le rapport Lugano II, éd. Seuil, 2012, Paris).  L’interviewé s’échine à entériner la farce impériale ! Il est pourtant établi que dans les « démocraties de marché », la manipulation des choix des masses étant déterminantes, ceux qui parviennent à les influencer détiennent réellement le pouvoir. La propagande politique au XXe siècle n’est pas née dans les régimes totalitaires, mais au cœur même de la démocratie libérale américaine (Voir, Edward Bernays, Comment manipuler l’opinion en démocratie, éditions La Découverte, Zones, 2007).

  La démocratie défigurée

Les tunisiens se rendent compte de la dégradation continue de leur situation depuis une décade. Ils constatent la dégradation de leur système d’enseignement, de santé et du service public de manière.

Ils attribuent cette dégradation généralisée à ce troupeau de politiciens incultes que les médias présentent. Mais il est loin de penser à ceux qui  ont installé ces incultes au pouvoir. De même, ils croient qu’ils ont  élu des candidats, alors que le pouvoir des monopoles généralisés les a choisis. Le stade suprême de la farce est désormais atteint  dès lors que des « agences de notation » (c’est-à-dire des employés de ces mêmes monopoles) tracent les frontières de ce qui est possible. Au passage, je signale que nos experts et économistes jouent  en faveur de ces monopoles sciemment. Les médias dominants participent à la distillation de cette pensée unique. Or le rôle de l’intellectuel est d’éclairer le citoyen. Face à la dépolitisation institutionnalisée par les monopoles, l’intellectuel répand  le mythe idéologique de la souveraineté propagé par le capitalisme historique. Or le capitalisme, dans son expansion mondiale, a toujours été polarisant. De fait, capitalisme et impérialisme constituent les deux faces indissociables de la même réalité, celle du capitalisme historique.

Le rôle de  l’intellectuel attitré est d’enjoliver une réalité bien sombre. Le projet impérial a été répandu sous l’étendard de  l’instauration de la  démocratie et les droits de l’homme ; c’est, en réalité,  une mise à jour du slogan colonial de la mission civilisatrice avancée par l’Occident pour conquérir le monde au XVIe siècle. L’intellectuel n’évoque pas la nature des rapports de force dans la scène mondiale. Il doit dissimuler que les rapports dans le système interétatique ne s’établissent pas par consensus ou consentement mutuel mais résultent de la volonté ou de la capacité des Etats les plus forts d’imposer des restrictions, d’abord aux Etats les plus faibles et ensuite dans leurs relations mutuelles. Si je me suis attaché à analyser cette interview, c’est pour avertir l’opinion que la ‘’démocratie US’’ est un leurre. De ce fait, il faut faire semblant de croire, avec Hichem Djait, que les néoconservateurs US voulaient libérer la Tunisie d’une dictature. On les croit sur parole : les « démocrates » ne mentent pas !

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