Le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, est sans doute le grand perdant du réchauffement des liens entre la France et l’Algérie. Il avait fait de ce sujet son carburant et une rampe de lancement pour l’élection présidentielle de 2027. Après la visite du chef de la diplomatie française, Jean-Noël Barrot, à Alger et toutes les annonces faites sur place, Retailleau ne peut plus s’autoriser à enflammer les esprits. L’ancien ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin lui avait tapé sur les doigts en février dernier. Il est revenu à la charge après la dernière sortie du ministre de l’Intérieur.
De Villepin ne l’a pas raté dans une interview à l’occasion de la publication ce lundi 7 avril de son essai intitulé “Le pouvoir de dire non“. Il a pointé le «spectacle d’impuissance» servi par Retailleau, notamment sur l’Algérie. «Moi, je n’accepte pas de voir un ministre de la République venir devant les Français à la TV pour donner ce spectacle d’impuissance et, en plus, celui d’un dysfonctionnement ministériel […] en mordant les platebandes d’un collègue ou du président de la République», a asséné l’ancien Premier ministre
«On fait le show, on fait de la communication et pour moi, c’est la pire image de l’impuissante publique», martèle l’ancien ministre des Affaires étrangères de feu Jacques Chirac. Il déplore qu’«une partie de la droite» aille «chasser sur les platebandes de l’extrême droite, non pas en apportant des réponses aux demandes des Français sur les services publics, l’immigration ou l’école, mais en surenchérissant sur ce qui est le plus facile : les questions identitaires»…
«J’ai été toujours de cette ligne de refuser tout glissement vers cette tentation identitaire, de la surenchère et des extrêmes», a ajouté de Villepin ; il est d’avis que la politique d’immigration appliquée en France est «très largement déclaratoire (…). Elle s’est très largement contentée d’incantations sur “on va renvoyer les OQTF” [obligation de quitter le territoire]», en allusion au combat frontal engagé par Retailleau pour obliger l’Algérie à reprendre une soixantaine de ses ressortissants expulsés.
Au sujet de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, condamné à 5 ans de prison en Algérie et dont Paris demande la libération, de Villepin a suggéré à la France de «retrouver une sorte de sérénité avec l’Algérie (…). Nous ne pouvons pas faire autrement que de prendre en compte l’ensemble de la relation […] parce que si nous restons sur le seul terrain sécuritaire, nous ne trouverons pas une sortie de crise», a déclaré l’ancien Premier ministre…
Il propose de «sortir de la diabolisation». Rappelons que Barrot avait averti avant son envol vers Alger qu’il ne fallait pas s’attendre à une évolution spectaculaire du dossier de Sansal hier dimanche. Mais après son entretien avec le président algérien Abdelmadjid Tebboune le chef de la diplomatie française a évoqué l’affaire devant les médias, en espérant un “geste humanitaire“.
S’il l’a fait publiquement c’est certainement après qu’Alger a donné son aval et sans doute des signaux positifs sur une prochaine grâce présidentielle. Le reste se fera dans la discrétion, pas à coups de déclarations médiatiques incendiaires, comme le fait Retailleau. Rappelons qu’il avait menacé de ses foudres l’Algérie si Sansal ne sort pas rapidement de prison. Paris a décidé de ne pas suivre la voie du combat, comme l’avait signifié le président Emmanuel Macron en février dernier.
La voie de la sagesse, celle portée par de Villepin et l’ancienne ministre Ségolène Royal, cités par le chef de l’Etat algérien parmi les personnalités françaises capables d’aider à décrisper la situation entre les deux pays. L’ancien Premier ministre est la personnalité politique préférée des Français dans plusieurs enquêtes. Suffisant pour alimenter les conjectures autour de la présidentielle de 2027. En tout cas l’intéressé lui ne dément rien, ne confirme rien…
Son nouvel essai, qui sort ce lundi dans la revue Le Grand continent, alimentera davantage les supputations sur ses ambitions personnelles. Mais ce qu’on retient aujourd’hui c’est le service qu’il rend à son pays et à l’Algérie. Si un jour il est récompensé électoralement il le devra aussi aux actes qu’il pose sur le chemin du dialogue et de la réconciliation. Le monde, en ces temps agités, a besoin d’apôtres de la concorde et de la paix des coeurs. De Villepin est de ceux-là, incontestablement.
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