Officiellement le coup n’est pas venu du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, mais c’est tout comme puisqu’il était le président du groupe majoritaire au Sénat, les Républicains (LR, la droite). Les compagnons de Retailleau se sont mis en tête de poser sur la table la révision unilatérale de l’Accord de 1968, alors que le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, a clairement dit le 28 février qu’il faut appuyer sur le frein et explorer les voies du dialogue avec l’Algérie.
Les Sénateurs vont secouer le cocotier de l’Elysée
Mobilisation à la Chambre haute ce mardi 4 mars en fin de journée ; la droite, qui rue dans les brancards depuis des années, entend imposer au chef de l’exécutif et chef suprême de la Diplomatie la marche à suivre. Certes le débat sera sans enjeu législatif mais pour la majorité sénatoriale de droite et du centre il s’agit de secouer le cocotier de l’Elysée pour voir ce qui en tombera.
Rappelons que cet accord bilatéral, paraphé 6 ans après l’indépendance de l’Algérie, a déjà été retouché à trois reprises, en 1985, en 1994 et en 2001, pour faire en sorte que les dits privilèges des Algériens – la réalité est beaucoup plus nuancée – collent au droit commun. Mais tout ça n’a pas suffi au bonheur des élus de la droite, ils exigent encore l’abrogation des dernières mesures d’exception. Le 7 décembre 2023, un projet de résolution déposé par les deux groupes LR dans les deux chambres du Parlement appelait à la dénonciation pure et simple de l’Accord de 1968…
Le texte a été retoqué, par 151 voix contre 114 à l’Assemblée nationale. Tout cela pour dire que l’algérophobie n’est pas nouvelle, elle est là depuis la longue et sanglante guerre de libération. Elle était là bien avant les éruptions autour de l’arrestation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal et le renvoi systématique des délinquants expulsés par la France.
Cette fois sera la bonne ?
Les Sénateurs reviennent à la charge en se disant que cette fois les 126 députés de l’extrême droite, les 47 de la droite plus quelques élus macronistes peuvent changer la donne au Parlement. La clameur monte depuis le 22 février dernier, date à laquelle un ressortissant algérien sous le coup d’une OQTF (obligation de quitter le territoire) a poignardé mortellement Lino Sousa Loureiro, un Portugais de 69 ans. Au motif qu’Alegr aurait refusé 14 fois de récupérer le clandestin les autorités françaises chauffent la place…
Le 26 février, au terme d’un Comité interministériel de contrôle de l’immigration (CICI), qui n’a rien fait de notable depuis 2005, le Premier ministre François Bayrou a adressé un ultimatum l’Algérie. Le chef de gouvernement a transmis «une liste d’urgence de personnes qui doivent retourner dans leur pays», en précisant que tout refus de l’Algérie conduirait à «une remise en cause» des clauses de l’accord.
Ce à quoi le président Macron a répliqué lors de sa visite au Portugal, en déclarant qu’une rupture unilatérale actée par la France n’aurait «pas de sens». Puis il taille les ailes de Bayrou dans le Figaro : «L’accord de 1968, c’est le président de la République (…). Ce qu’on a acté avec le président Tebboune en 2022, c’est sa modernisation. Je suis totalement favorable, non pas à le dénoncer, mais à le renégocier».
Retailleau refoule déjà les Algériens et le clame
Déjà fin novembre dernier le fugace Premier ministre Michel Barnier (il n’a pas tenu plus de 2 mois) s’était insurgé contre «un droit exorbitant et que plus rien ne justifie». C’était à l’occasion d’une audition au Sénat. «L’Algérie vole de ses propres ailes depuis des années et peut-être que le service que l’on peut mutuellement se rendre, c’est de s’oublier un peu l’un l’autre, notamment en matière d’accords migratoires», avait-il argué. Il est parti, France-Algérie est resté…
Mais le plus teigneux et le plus coriace sera sans aucun doute Retailleau. Le ministre de l’Intérieur, en pleine campagne pour rafler la présidence des LR et plus si affinités (le fauteuil de Macron en 2027), fait feu de tout bois. Le recadrage du président de la République ne l’a pas empêché de récidiver dimanche dernier dans Le Figaro, puis sur BFMTV hier lundi 3 mars. Il insiste sur une «riposte graduée» contre l’Algérie, en annonçant que certains ressortissants ont été refoulés à leur arrivée à l’aéroport de Roissy.
C’est comme si le chef de l’Etat n’avait rien dit. Il faudra qu’il parle plus fort pour qu’on l’entende, qu’il se fasse respecter, ou alors qu’il dise clairement qu’il souscrit à cette déferlante, qu’il la cautionne, qu’il a été vaincu par la doxa qui l’encercle. Les sorties timorées sur un dossier aussi crucial ne sont plus tenables.
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