En France on ne parle que de lui (de lui et de l’accouchement difficile de l’Elysée autour du prochain gouvernement) : le jeune milliardaire russe Pavel Valerievitch Dourov (il a francisé son nom en Paul du Rove), père de la sulfureuse messagerie Telegram. Le musculeux golden boy (on ne voit que ses abdominaux dans les images qui passent à la télévision) a été cueilli samedi dernier dès sa descente d’avion (son jet privé) à l’aéroport de Bourget, en région parisienne. Il venait d’Azerbaïdjan où, étrangement, s’était rendu le président russe Vladimir Poutine. Et depuis Dourov est en garde en vue. Son sort sera scellé ce mercredi 28 août. Relaxe, détention préventive, mandat de dépôt, procès… ? On verra bien, mais vu ce que cet homme de 39 ans traîne derrière lui et vu ce qu’il planque ça nous étonnerait beaucoup qu’il s’en sorte avec un aller simple pour quitter Paris.
Des affaires d’Etat et bien plus encore
D’après des informations publiées dans la presse française Dourov pourrait ployer sous les accusations, pour des crimes et délits liés à son application qui rend d’immenses services à des groupes criminels actifs dans moult trafics (drogue, proxénétisme, vente d’armes, mercenariat, etc.). Reste la nébuleuse de ses liens avec son pays d’origine, la Russie, qu’il dit avoir quitté définitivement en 2014 et n’y avoir jamais remis les pieds depuis. Faux, dit le site d’investigation russe indépendant “Important Stories”.
Cette enquête embarrassante pour le milliardaire russe est sortie hier mardi 27 août. Elle révèle qu’entre 2014 et fin 2021 le fondateur de Telegram est retourné au moins 50 fois dans son pays natal, indique le fichier du FSB (les services de sécurité intérieure, chargés de la surveillance des frontières) que les journalistes ont consulté. Lors de ces virées secrètes Dourov allait à Moscou et à Saint-Pétersbourg, sa ville natale, en prenant la compagnie aérienne russe Aeroflot depuis Paris ou Londres…
Il lui est arrivé aussi de s’y rendre en train depuis la Finlande, frontalière avec la Russie. Il a même traversé au moins deux fois au volant de sa rutilante Maybach, ajoute la même source. Alors quand le milliardaire clamait en 2014 “pas de retour en arrière”, en parlant de la Russie, le journal démontre le contraire.
On ne sait rien des raisons de ces voyages (les enquêteurs français l’ont certainement cuisiné sur ces déplacements fréquents), on sait juste que ces visites coïncident avec des séquences décisives dans la trajectoire de Telegram, qui failli être interdit à un moment en Russie en 2018 puis autorisé. Qu’est-ce que Dourov a négocié et cédé pour bénéficier des largesses du Kremlin ? Mystère total. On sait aussi que ces voyages ont complètement cessé le 21 octobre 2021, avec un vol Saint-Pétersbourg-Ibiza. Ce sera le dernier.
Moscou et Paris s’agitent pour de bonnes – mauvaises – raisons
Par contre son assistant, qui était avec lui (avec son chauffeur particulier) lors de son interpellation en France, a continué à visiter régulièrement la Russie, d’après le journal indépendant. Les choses se compliquent pour le créateur du “Facebook russe”, le réseau VKontakte. Soit il s’est jeté malencontreusement dans la gueule du loup et n’est pas près d’en sortir, soit tout ça est une énorme mise en scène policière et judiciaire pour masquer un marché avec les autorités françaises autour d’informations ultra secrètes.
Et en matière de tractations le milliardaire russe s’y connait. VKontakte l’avait rendu très populaire dans les pays de l’ex-URSS, mais le réseau lui avait aussi attiré les pressions des autorités pour mettre la main sur les données des utilisateurs du réseau. Il a fini par plier en vendant ses parts à des businessmen proches du Kremlin, tout en publiant dans le quotidien économique RBC ses “sept raisons pour ne pas retourner en Russie”. Après ça il s’investit totalement dans l’application Telegram, qu’il a montée avec son frère informaticien, Nikolaï.
Cette messagerie chiffrée est une merveille technologique qui assure une confidentialité maximale aux échanges, c’est aussi ce qui en fera l’allié des criminels de toutes sortes. Son succès a offert à Dourov les moyens de ses ambitions. Cap sur les pays occidentaux : il a résidé en France (où il a vu le président Emmanuel Macron à plusieurs reprises et a même obtenu la nationalité française), a vécu sur la côte Ouest américaine et au Royaume-Uni. Il a finalement atterri aux Émirats arabes unis, pour échapper à la bureaucratie européenne et aux services de sécurité américains, confie-t-il dans un entretien.
Les Russes le traquaient à ses débuts, maintenant les Américains et in fine il tombe dans l’escarcelle de la France. Macron a dit publiquement que son arrestation n’est pas une affaire politique mais il est permis d’en douter. Quand celui dont la plateforme est utilisée par l’armée russe (pour piloter les missiles qui s’abattent sur l’Ukraine et diffuser en toute liberté des vidéos d’exécution de soldats ukrainiens capturés) est arrêté en Occident c’est forcément politique. C’est la panique à Moscou, l’agitation à Paris mais aussi très certainement à Washington, même si la Maison Blanche ne pipe pas mot. L’affaire Dourov est loin d’avoir livré tous ses secrets.
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