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Guerre d’Algérie : Un documentaire choc sur les armes chimiques balancées par la France, un 6e conflit en vue

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C’est un épisode long et sanglant – du 1er novembre 1954 au 5 juillet 1962 – dont les deux protagonistes portent encore les stigmates. Je parle de la guerre d’Algérie.  On a beaucoup dit et écrit sur ce morceau tragique de l’histoire de la France et de l’Algérie, on en sait beaucoup sur les horreurs qui ont émaillé cet affrontement, mais un autre pan méconnu nous sera révélé par le documentaire “Sections armes spéciales“, concocté par Claire Billet, avec le concours scientifique de l’historien dolois Christophe Lafaye. Ce film passera  ce 16 mars sur France 5 (dans l’émission “La case de l’histoire” de Fabrice D’Almeida). Et le moins qu’on puisse dire est que les révélations détonnent.

Elles s’ajoutent à la torture, aux meurtres de masse, etc.

«Cela fait maintenant plus de vingt ans que les historiens qui travaillent sur cette guerre coloniale en ont fait ressortir les violences spécifiques. On a parlé de la torture, on a parlé des massacres, des viols, des déplacements de population… Mais la guerre chimique est un sujet qui était passé inaperçu. Il a fallu que les anciens combattants commencent à s’exprimer pour que les historiens disposent d’une matière pour débuter leurs recherches», explique Christophe Lafaye.

La France et l’Algérie ont sur la table 5 contentieux lourds qu’étaient censés scruter les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune lors de la visite de ce dernier à Paris. Il n’est jamais venu. Entre temps d’autres conflits se sont ajoutés aux dossiers déjà très épais. En janvier dernier Alger est monté au front sur l’affaire des essais nucléaires français dans le Sahara. Les Algériens exigent réparation. Ce documentaire choc sur les armes chimiques pourrait faire monter encore plus la fièvre.

Docteur en Histoire contemporaine de l’université d’Aix-Marseille et chercheur associé à l’université de Bourgogne, le Dolois a fait face à des montagnes de difficultés qui jalonnent cette sombre page de l’histoire des pays. A l’arrivée cela donne un travail abouti sur le recours aux armes chimiques. On savait que cette chose, parmi les pires inventions humaines, était une “spécialité”, si on peut dire, de l’Irak, de la Syrie, etc., mais que la France ait pu en faire usage dans la fureur de cette guerre le grand public l’ignorait.

Christophe Lafaye a pu identifier «450 opérations militaires ayant eu recours aux armes chimiques en Algérie principalement concentrées dans les zones montagneuses en Haute-Kabylie et dans les Aurés», a rapporté la “Voix du Jura” le 9 mars 2025. Les armes balancées par l’armée française n’étaient pas sophistiquées, juste des substances utilisées pour des opérations de maintien de l’ordre dont les militaires ont fait un cocktail mortel, une mort atroce.

«À ce jour, j’ai pu à travers les archives confirmer l’utilisation d’un gaz appelé CN2D. C’est un composé de deux gaz : le gaz CN est un dérivé du cyanure et le gaz DM qui est une arsine, donc un dérivé de l’arsenic, pour faire simple. Il y a un troisième élément appelé kieselgurh ; c’est une terre siliceuse très fine, de l’ordre du micron, et qui va mutualiser l’effet extrêmement irritant des arsines avec la rapidité d’action du CN. C’est la combinaison de ces trois éléments qui crée un gaz mortel» a déclaré le chercheur.

Le but était clairement de vider les grottes dans lesquelles se planquaient les combattants indépendantistes. «Mais dans un lieu clos avec peu de volume, le gaz va provoquer des œdèmes pulmonaires et donc des asphyxies. Ces gaz pris individuellement étaient à l’époque utilisés pour des opérations de maintien de l’ordre. Mais, regroupés en une seule munition et dans des quantités extrêmement importantes, ils entraînaient assez rapidement la mort des gens qui se trouvaient à l’intérieur des grottes», a ajouté le scientifique.

L’armée française s’est très tôt rabattue sur ce produit pour vernir à bout des Algériens, dès 1956 elle a commencé à former des unités spéciales pour le maniement de ces armes chimiques. A noter que ces groupes de la mort étaient composés d’appelés du contingent : «On les appelait les sections armes spéciales. La première unité est créée en Algérie le 1er décembre 1956», indique l’historien, qui a établi formellement les actions de 119 unités de ce genre entre 1957 et 1959 sur le sol algérien.

À partir de 1959 et l’installation de Maurice Challe au commandement on change de braquet, la mobilisation des équipes spéciales devient systématique. «Jusqu’à présent ces sections de grottes étaient utilisées essentiellement pour le combat offensif. Mais, à partir de 1959, les unités vont repasser régulièrement pour infecter toutes les grottes qui ont été identifiées lors des opérations et qu’on n’a pas pu détruire à l’explosif parce qu’elles sont trop grandes. L’objectif est de les rendre inutilisables».

Des responsabilités jusqu’au sommet de l’Etat

Durant ses investigations Lafaye a pu mettre à jour une opération qui a causé 116 victimes civiles. «Les combattants indépendantistes détenaient souvent des prisonniers Français dans les grottes. L’Armée française compte encore aujourd’hui 524 disparus durant la guerre d’Algérie. Il est probable que certains d’entre eux ont été gazés», a commenté l’historien.

Quant aux responsabilités dans cette affaire il dit ceci : «j’ai pu quand même retrouver certaines décisions politiques. C’est le ministre Maurice Bourgès-Maunoury donc qui a signé l’autorisation d’utilisation des armes chimiques. La 4e République puis la 5e République ont totalement assumé, ordonné et organisé la conduite d’une guerre chimique pendant la guerre d’Algérie».

«Je pense que l’un des personnages centraux de cette histoire, c’est le général Charles Ailleret. C’est un polytechnicien resté dans la postérité comme le père militaire de la bombe atomique française. Mais lors de son passage au commandement des armes spéciales, c’est lui qui va faire la promotion de l’emploi des armes chimiques en Algérie. Il a écrit un livre en 1948 dans lequel il décrit l’utilisation de la science dans la guerre comme étant un élément de supériorité dans la conduite des opérations. Il a une conviction profonde dans les vertus de la science comme arme comme pour remporter la victoire sur le terrain», commente le scientifique.

Théoriquement depuis le protocole de Genève ratifié en 1925 par la France il est formellement interdit d’utiliser des armes chimiques. « Mais il y avait un angle mort. C’était la police coloniale. Et la France n’a pas été qu’une seule à exploiter cet angle mort parce que les armes chimiques ont été aussi utilisées par les Anglais en Malaisie, par exemple. La France a joué sur deux biais : le premier, c’était d’évoquer une opération de police coloniale qui n’était pas une guerre conventionnelle ; le deuxième reposait sur le fait que les agents chimiques employés étaient déjà utilisés pour le maintien de l’ordre», ajoute l’historien.

«Pour sortir des discours d’États qui sont insupportables, je tiens à dire que, lorsqu’on rencontre la société civile en Algérie, on s’aperçoit que les gens n’en veulent pas à la France. Pour eux, c’était la guerre, c’était comme ça. Ils ne demandent pas de la repentance, ils ne demandent pas des excuses, ils ne demandent pas d’argent. Ils attendent que la France admette ce qu’elle a fait en Algérie, la nature de la guerre qui y a été menée pour pouvoir mieux tourner la page», conclut l’historien.

 

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