Depuis plusieurs années, les Turcs sont parvenus à resserrer leurs liens avec les islamistes au pouvoir à un niveau inédit et ont su tirer profit des affinités idéologiques reliant les deux régimes à Ankara et Tunis.
Porte d’entrée du marché africain et plaque tournante entre l’Europe et le Maghreb, la Tunisie est depuis plusieurs années l’objet d’un intérêt particulier de la part d’Ankara. En 2011 et alors que la Turquie chercher à booster énergiquement ses intérêts dans la région, elle a trouvé un allié de taille : les islamistes d’Ennahdha.
Tunisie 2011: un régime pro-turc
Dès 2011, le régime de Recep Tayyip Erdogan est désigné comme le « modèle » à suivre pour les islamistes tunisiens. Une fois installés aisément au pouvoir, les islamistes signèrent une modification de fond de l’accord d’échange avec la Turquie en 2013 pour le transformer en accord de libre-échange total, ouvrant le pays à une réelle domination économique et politique en inondant tous les marchés et secteurs de produits turques bas de gamme exonérés de toute taxation provoquant un dumping qui a détruit des secteurs entiers sous l’œil complaisant du régime de Rached Ghannouchi.
Il n’est plus question seulement d’idéologie ; il s’agit plutôt d’une vraie vassalisation politique et économique de la Tunisie. Une vassalisation économique traduite par un déficit de la balance commerciale en faveur de la Turquie.
Le déficit de la balance commerciale de la Tunisie avec la Turquie est passé de 95 millions de dinars en 1999 à 248 millions de dinars en 2005 qui est l’année de l’entrée en vigueur de la convention d’échange tuniso-turque. Depuis, le déficit n’a cessé de s’aggraver atteignant 598 millions de dinars en 2010, 965 millions de dinars en 2011, 1,3 milliard de dinars en 2015 et dépassant les 2 milliards de dinars à partir de 2018.
En 2019, le déficit atteint un pic de 2,46 milliards de dinars soit 38,5% du service de la dette extérieure tunisienne, avec 2,86 milliards d’importations (plus de 1 milliard de dollars) et seulement 396 millions de dinars d’exportations.
Rappelons tout de même que les importations de Turquie concernent des produits de consommation courante allant des produits alimentaires jusqu’à l’eau aromatisé et les articles en plastiques dont les produits tunisiens similaires abondent à bas prix et sont surtout conformes aux normes…
Ces produits turcs sont généralement non homologués et donc interdits à l’Union européenne pour non-conformité sanitaire et normative. Certains de ces produits sont carrément bannis de l’UE.
La Tunisie peine, par ailleurs, à écouler sa production, notamment agricole, en Turquie. Les producteurs des produits similaires tunisiens tempêtent contre le ministère tunisien du Commerce, qui permet à des produits agroalimentaires turcs de concurrencer la production locale.
Les Turcs déversent leurs produits et n’investissent pas
La situation est telle que même les Turcs ont parlé de leur « souhait » de rééquilibrage lors de la visite du président Erdogan fin 2019 à Tunis. Sur 3 455 entreprises étrangères installées dans le pays, seules 25 sont turques pour un investissement total de 138 millions de dollars.
Sur le plan politique, les tentatives d’ingérence d’Erdogan s’appuient sur l’alliance voire la servilité des islamistes, à son égard.
L’ingérence turque s’est manifestée une autre fois le lendemain du gel du parlement de Ghannouchi. En effet, Yassin Aktay, conseiller du président turc Recep Tayyip Erdogan, a commenté sur son compte Twitter la décision du président Saïed de geler le parlement en Tunisie, en notant que « les forces du mal arabes et occidentales ont conspiré contre la volonté du peuple tunisien ».
Yassin Aktay a déclaré aussi : « Ce qui se passe en Tunisie est une tentative pour faire avorter une expérience démocratique naissante dont les peuples arabes se sont réjouis, mais les forces du mal arabes et occidentales ont refusé de faire autre chose que de conspirer contre la volonté des peuples tunisien, et malheureusement ils ont trouvé dans l’autorité quelqu’un pour les aider ».
Une ingérence inacceptable traitant la volonté populaire traduite le 25 juillet 2021 par le président Saïed de conspiration et de complicité avec des forces étrangères.
Bizarrement, aucune réaction officielle des autorités tunisiennes n’a vu le jour devant une ingérence arrogante de la part d’un officiel qui a bafoué tous les usages diplomatiques.
Entre temps, et malgré des appels à la révision de l’accord de libre-échange très favorable à la Turquie et qui a fait accroître le fléau de fausse facturation pour représenter selon l’ESCWA, 16,3% du commerce extérieur tunisien, l’inondation du marché local par des produits bas de gamme « made in Turkey » continue comme si de rien n’était devant une inertie consternante des autorités.
Une inertie qui traduit une certaine impuissance et une lenteur inquiétante de la part des autorités mais qui révèle surtout le taux étonnant d’infiltration de l’administration par des pions pro turcs qui roulent encore pour le régime déchu des islamistes.
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