Monde

Liberté de la presse en danger ? Quand la Suisse dissuade d’enquêter

Partager

La Suisse, longtemps perçue comme un bastion de la discrétion financière, inquiète désormais une autre catégorie d’acteurs : les journalistes d’investigation internationaux.

Selon les quotidiens helvétiques 24 Heures et La Tribune de Genève, plusieurs reporters étrangers choisissent d’éviter le territoire suisse par crainte de représailles judiciaires, en particulier lorsqu’ils enquêtent sur des affaires financières sensibles.

Ce phénomène inquiète les défenseurs de la liberté de la presse, notamment dans le contexte post-Suisse Secrets, une vaste enquête collaborative lancée début 2022 par plus de 100 journalistes internationaux. Cette enquête avait mis au jour des informations confidentielles sur des clients jugés « à risque » de la banque Credit Suisse, parmi lesquels figuraient des figures du crime organisé, des responsables politiques sous sanctions ou encore des oligarques.

Secret bancaire contre liberté de la presse

La principale pierre d’achoppement demeure l’article de loi protégeant le secret bancaire. En Suisse, la divulgation d’informations financières obtenues par voie illicite — même dans le cadre d’un travail journalistique — est considérée comme un délit pénal.

« Publier des informations bancaires est un crime en Suisse si elles sont obtenues en violation du secret bancaire », rappelle Cecilia Anesi, directrice du centre italien pour les enquêtes journalistiques IRPI et membre du consortium Suisse Secrets.

Le message est clair : même si les faits révélés sont d’intérêt public, les auteurs peuvent être poursuivis. Une situation qui contraste avec les pratiques de nombreux pays européens, où les journalistes bénéficient d’une protection renforcée lorsqu’ils traitent des sujets d’intérêt général.

Une image ternie

Cette politique a de sérieuses conséquences sur l’image de la Suisse. Le pays, souvent cité pour sa stabilité, est désormais pointé du doigt pour sa législation jugée répressive à l’égard du journalisme d’investigation. « Il est inquiétant de constater que des journalistes soient contraints de se censurer ou de modifier leurs plans d’enquête à cause de lois incompatibles avec les principes démocratiques », déplore un membre du réseau Forbidden Stories, qui a contribué à l’enquête.

L’autocensure est bien réelle : certains journalistes ayant contribué aux Suisse Secrets évitent aujourd’hui les escales à Genève ou Zurich, de peur d’être interpellés ou mis en examen. D’autres redoutent que la Suisse devienne un sanctuaire judiciaire pour ceux qui souhaitent dissuader les médias de s’intéresser à leurs avoirs.

Une pression internationale croissante

Face à cette situation, des voix s’élèvent en Europe pour appeler à une réforme du cadre légal suisse. Des ONG et des syndicats de journalistes plaident pour une exception journalistique dans le droit pénal, au nom de la transparence et de la lutte contre la criminalité financière.

Mais pour l’heure, les autorités suisses restent fermes. Aucun assouplissement n’a été annoncé, et le secret bancaire demeure l’un des piliers intangibles de la législation nationale. Une posture qui, selon plusieurs analystes, risque de maintenir la Suisse dans une zone grise du droit international en matière de liberté d’expression.

Ainsi, alors que le journalisme d’investigation joue un rôle croissant dans la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent, la Suisse fait figure d’exception inquiétante.

Entre la défense rigoureuse du secret bancaire et la pression croissante pour plus de transparence, le pays devra bientôt clarifier sa position : veut-elle continuer à être un havre de discrétion financière, ou peut-elle devenir un partenaire actif dans la lutte contre l’opacité économique globale ?

Laissez un commentaire