Maghreb

Maroc : la flambée des prix de la viande accentue la tension sociale

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Une politique d’importation inefficace

Depuis décembre 2022, le Maroc a dépensé plus de 2 milliards de dirhams (200 millions de dollars) pour exonérer les importateurs de bétail et de viandes réfrigérées ou congelées des droits de douane et de la TVA. L’objectif du gouvernement était clair : stabiliser les prix des viandes rouges et préserver le pouvoir d’achat des Marocains.

Mais la réalité est bien différente. Malgré ces exonérations, les prix n’ont cessé d’augmenter, rendant l’accès à la viande de plus en plus difficile pour les ménages à revenu modeste. Dans les boucheries populaires, le kilo de viande de bœuf dépasse les 110 dirhams (11 dollars), tandis que la viande d’agneau atteint 130 dirhams (13 dollars). Pour les viandes importées, censées être plus abordables, les prix oscillent entre 100 et 150 dirhams (10 à 15 dollars).

Un boucher de la périphérie de Rabat témoigne :
“Nous sommes censés vendre de la viande à prix réduit grâce aux importations, mais en réalité, seules les grandes surfaces et les restaurants y ont accès. Pour nous, il n’y a aucun changement.”

Un secteur sous tension et une colère qui monte

Le ministre de l’Agriculture a reconnu l’échec de cette politique devant le Parlement, admettant que les prix restent inaccessibles pour une large partie de la population. Il a également reconnu la hausse du prix des viandes blanches, les consommateurs se tournant vers le poulet comme alternative, ce qui a fait bondir la demande et les prix.

Pour les éleveurs et experts agricoles, cette crise est le résultat d’une mauvaise gestion du secteur. Un spécialiste du domaine de l’élevage explique :
“L’État a libéralisé l’importation sans imposer de contrôle strict. Des investisseurs opportunistes, qui ne sont même pas du secteur, ont profité des subventions et spéculé sur les prix.”

Une parlementaire de l’opposition dénonce cette dérive :
“Ceux qui ont bénéficié des exonérations ne sont pas les citoyens, mais une poignée d’importateurs qui contrôlent désormais le marché. Sans plafonnement des prix ni lutte contre la spéculation, la situation ne peut qu’empirer.”

Un problème structurel bien plus profond

Le Maroc possède un cheptel estimé à 31 millions de têtes (21,6 millions d’ovins, 6 millions de caprins, 3,3 millions de bovins), mais la production locale peine à répondre à la demande.

Le gouvernement met en avant le changement climatique et la sécheresse pour expliquer la baisse de la production. Mais un économiste apporte une autre lecture :
“Si le Maroc est capable d’exporter des tonnes de fruits et légumes en Europe chaque année, pourquoi ne peut-il pas produire assez d’aliments pour son bétail ? C’est une question de priorités économiques, pas seulement de climat.”

En effet, les céréales fourragères et les aliments pour bétail sont presque totalement importés, rendant le secteur dépendant des marchés mondiaux. La flambée des prix des matières premières, notamment à cause de la guerre en Ukraine, a aggravé la crise et fait exploser les coûts de production.

Un autre éleveur témoigne :
“Il est devenu impossible de nourrir le bétail sans se ruiner. Beaucoup d’éleveurs abandonnent, et la pénurie ne fait qu’augmenter.”

Vers une crise alimentaire et sociale plus large ?

Si le gouvernement affirme que cette crise est temporaire, les experts sont plus sceptiques. La reconstitution du cheptel prendra des années, et d’ici 2027, les prix resteront élevés. Cette situation met en danger la sécurité alimentaire et risque d’aggraver la précarité des familles modestes, dont l’accès aux protéines animales est de plus en plus limité.

Un analyste économique met en garde :
“Quand l’alimentation devient un luxe, la frustration sociale monte. Avec la flambée des prix et l’absence de solutions concrètes, le mécontentement pourrait rapidement se transformer en crise politique.”

Face à cette tension grandissante, le gouvernement devra prendre des mesures d’urgence pour réguler le marché, encourager la production locale et limiter la spéculation. Faute de quoi, le fossé entre les citoyens et les décideurs ne fera que se creuser.

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