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Mort suspecte d’un migrant tunisien en Italie : le procès reporté à septembre 2025

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La justice italienne a décidé, mercredi 9 avril 2025, de reporter au 10 septembre prochain l’audience concernant la mort du migrant tunisien Wissam Ben Abdel Latif, survenue en 2021 dans un centre de rétention pour migrants en Italie. L’information a été confirmée à l’agence TAP par Me Francesco Romeo, avocat de la famille.

La famille de Wissam, âgé de 26 ans, avait déposé plainte à la suite de son décès entouré de zones d’ombre. Une infirmière, placée en détention provisoire, est poursuivie pour “homicide involontaire dans l’exercice de la profession médicale et falsification de document public”, selon un communiqué cosigné par plus de 20 organisations tunisiennes, italiennes et internationales, dont le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), l’Association tunisienne des femmes démocrates, Avocats sans frontières, l’association Terra per Tutti et la Fondation Franco et Franca Basaglia.

Le communiqué, également signé par l’avocat Me Romeo et la famille du défunt, précise que Wissam est décédé après avoir “passé plus de 100 heures entravé sur un lit dans un couloir de l’hôpital San Camillo de Rome”.

Lors de l’audience de mercredi, la défense a demandé à ce que des charges soient aussi retenues contre l’établissement de santé “Azienda Sanitaria Locale del Lazio”, où Wissam avait été transféré, en plus des accusations visant l’infirmière incarcérée et un médecin placé sous contrôle judiciaire, a indiqué à TAP l’activiste tunisien Magdi Karbai.

Le communiqué des organisations détaille le parcours tragique de Wissam : “initialement retenu sur des navires de quarantaine, puis transféré au centre de rétention de Ponte Galeria à Rome, avant d’être hospitalisé pour troubles psychiques à l’hôpital Grassi d’Ostia, puis à San Camillo où son état s’était dégradé”. Il y aurait subi “des entraves aux bras et aux jambes et reçu des doses massives de médicaments”.

La famille, informée initialement d’un décès par “arrêt cardiaque”, avait exigé une autopsie, affirmant que leur fils était arrivé en Italie “en parfaite santé”.

Ramadan Ben Amor, porte-parole du FTDES, a affirmé à TAP que Wissam “a subi des violations des droits humains, dues au manque de soins, de nourriture, à la peur d’une expulsion forcée, et à des abus subis lors de son transfert à l’hôpital, où il est resté attaché plus de 100 heures”.

Ben Amor a ajouté que les abus endurés par Wissam sont malheureusement vécus par d’autres Tunisiens détenus dans les centres italiens, dénonçant “les pratiques systématiques d’abus, de suicide suspect et de maltraitance dans ces centres”.

Il a aussi rappelé que ces centres sont gérés par des acteurs privés, non par l’État italien, soulignant “de graves manquements en matière d’hébergement, de communication avec les familles ou les avocats, et de soutien juridique”, et accusant ces centres d’administrer des sédatifs pour museler toute contestation.

Expulsions forcées et récidives dramatiques

Magdi Karbai, activiste pour les droits des migrants, a indiqué à TAP que le cas de Wissam rappelle ceux d’Azeddine Anani (décédé en 2022 dans un centre de rétention) et Rabii Farhat (décédé en 2025 après son transfert en prison). Il y voit “le symptôme d’une politique d’expulsions forcées”.

Entre le 1er janvier et le 31 mars 2025, environ 470 Tunisiens ont été expulsés d’Italie vers la Tunisie, selon le ministère italien de l’Intérieur, tandis que 238 Tunisiens ont atteint les côtes italiennes sur la même période.

Le FTDES a signalé que 1 452 migrants avaient été expulsés au premier semestre 2024, et 2 006 en 2023.

Une étude de 2022 du FTDES, en partenariat avec Avocats sans frontières et l’Association italienne des études juridiques sur l’immigration, souligne que la Tunisie est devenue la principale destination des expulsés d’Italie, représentant 73,5 % des cas.

Cette même étude révèle que 89 % des migrants interrogés n’ont pas été informés des raisons de leur détention, et 80 % n’ont reçu aucun document officiel justifiant leur expulsion. De plus, 70 % disent n’avoir reçu aucune information sur la protection internationale, ce qui limite leur capacité à faire valoir leurs droits.

Des associations italiennes, dont le “Comité pour la vérité et la justice pour Wissam”, pointent la responsabilité de l’État italien, dénonçant des “pratiques inhumaines telles que l’isolement et la contrainte physique”.

Des appels urgents à la révision des accords

Le FTDES a dénoncé les accords bilatéraux de réadmission conclus entre la Tunisie et l’Italie depuis 1998, qui ont conduit à des expulsions de plus en plus fréquentes et discrètes.

La Tunisie et l’Union européenne ont également signé, le 16 juillet 2023, un mémorandum de partenariat global incluant un volet sur “le soutien aux retours des Tunisiens en situation irrégulière”.

Face à cette situation, plusieurs ONG tunisiennes et internationales appellent à la révision de ces accords pour garantir le respect des droits humains, estimant que “la défense de la dignité humaine des migrants n’est pas seulement une obligation légale, mais un devoir moral”.

Le FTDES, de son côté, alerte sur les dangers du Pacte européen sur la migration et l’asile, qui pourrait renforcer la légitimité des expulsions collectives et des violations des droits des migrants tunisiens en Europe.

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Publié par
Yassine Atoui