Un mantra est une formule sacrée, une sorte de nouveau fétiche, d’un mot que l’on répète de manière régulière, pour atteindre un objectif prioritaire, pour résoudre un problème majeur. Il faut revenir au « Protectionnisme », entend-on, face à la multiplication des pratiques de concurrence déloyale : prix artificiellement bas, subventions occultes, manipulation du taux de change, dumping….
Durant pourtant près d’un demi-siècle, les échanges internationaux de biens et services ont augmenté à un rythme supérieur à la croissance du PIB mondial, signe d’une intégration croissante des économies nationales.
Nul besoin de préciser ici, que le propos ne vise pas à faire un bilan exhaustif de cette mondialisation néolibérale et de ses conséquences pour le moins contrastées tant au plan social qu’écologique !
Au-delà donc de de la seule dimension économique, cet essor des échanges, qui a contribuer à une uniformisation des modes de consommation, a eu pour effet d’habituer certaines fractions de population (les « gagnants » de la mondialisation) à se penser comme faisant partie d’une même communauté-monde où il est dans l’intérêt de tous de coopérer, plutôt que de s’affronter.
Mais les tensions commerciales récentes, initiées par les Etats-Unis à l’égard de leurs principaux partenaires (Chine et Europe), ont, -dès 2018 avec D. Trump-, relancé les craintes d’un retour du protectionnisme après des décennies de globalisation des chaines de valeur.
La pandémie de covid-19, puis la guerre en Ukraine, ont mis un coup d’arrêt net à cette évolution révélant une dépendance excessive des « économies occidentales » (mais aussi celles en développement) à cette fragmentation-interruption des processus de production désorganisant les échanges, notamment dans les secteurs vécus comme stratégiques.
Rien à voir, bien sûr, avec le protectionnisme de la fin du 19e siècle.
A cette époque, tous les pays, excepté la Grande-Bretagne, avaient accru drastiquement leurs tarifs douaniers. Aujourd’hui, l’outil douanier demeure incontournable mais reste insuffisant. Au protectionnisme sectoriel des siècles derniers devrait succéder, semble-t-il, un protectionnisme à la fois plus globalement insidieux et plus sécuritaire. Des termes tels que souveraineté, autosuffisance (alimentaire), indépendance (énergétique) jusque-là bannis des discours officiels et des travaux académiques retrouvent un droit de citer !
Un vrai retour de flamme ! Mieux encore, de très nombreuses législations nationales allant dans le sens de ce néoprotectionnisme voient le jour ou sont en cours d’être adopté.
Aux dispositifs anciens du protectionnisme classique s’ajoute désormais de nouvelles armes touchant directement à la sécurité nationale et ayant pour fer de lance la relocalisation d’activités jugées stratégiques ! Réindustrialiser un maître-mot longtemps oublié !
Comble d’ironie ce sont les chantres les plus acharnés du libre-échangisme qui inaugurent ce nouveau moment protectionniste.
En perte de vitesse, remise en cause de leur hégémonie, les Etats-Unis s’en retournent à « America First » : De nouveaux droits de douanes sont institués à intervalles réguliers des mandats présidentiels.
Ils concernent plus d’une dizaine de secteurs industriels considérés comme “stratégiques”, tels que les aciers spéciaux (40%), les semi-conducteurs (35%), les minéraux critiques (20%), les produits médicaux (15%) ou encore les véhicules électriques (102% en provenance de chine).
A ces augmentations sans précédents s’ajoutent de nouvelles dispositions législatives : L’Inflation Reduction Act (2022) est un méga-programme de subventions et d’exonérations fiscales, à hauteur de quasi 400 milliards de dollars sur 10 ans, pour les industries engagées dans la transition énergétique sur le territoire américain. Le CHIPS and Science Act (2022) est également un programme de plus de 280 milliards de dollars, dont un peu plus de 50 milliards sont destinées à la construction d’une industrie de production de microprocesseurs avancés aux États-Unis.
La part du commerce visé par la montée en puissance de la protection américaine vise singulièrement les exportations chinoises et dans une mesure moindre celles en provenance de l’Europe !
Mais comme il fallait s’y attendre, la Chine a relevé, par rétorsion, ces tarifs douaniers sur plus de 5000 produits américains.
La spirale est désormais enclenchée et rien n’augure d’un retour au libre-échange débridé.
A l’évidence, il ne s’agit-il pas de celui du 19e mais possiblement d’une recomposition des échanges articulés autour d’une régionalisation des chaines de valeur. La mondialisation néolibérale telle qu’elle a pu se développer jusqu’ici, appartient désormais au passé.
Si le protectionnisme n’est pas encore devenu la nouvelle « pensée unique », il n’est plus une option taboue, il constitue même un nouveau mantra dans de multiples milieux professionnels et sphères politiques.
Le glissement protectionniste se concentre surtout sur les anciens pays industriels, accessoirement sur les BRICS élargis, qui tentent d’organiser leurs propres échanges.
Ces pays occidentaux n’hésitent plus à remettre en cause l’ordre économique international, qu’ils avaient pourtant réclamé avec force, puis imposé après la seconde guerre mondiale avec la mise en place du GATT en 1948 puis de l’OMC en 1995.
L’OMC particulièrement silencieuse ces derniers temps, n’assure plus réellement son rôle d’arbitre. La Chine aurait dû certainement perdre son statut de la nation la plus favorisée qui lui a été attribuée quand elle était un pays sous-développé.
Devenu le premier exportateur mondial, elle conserve ce statut en raison de la faiblesse du PIB par habitant. Compte tenu de sa puissance économique, ce pays devrait être soumis aux mêmes règles que les autres grands exportateurs.
L’OMC aurait également dû traiter les dispositifs d’extraterritorialité qui se multiplient et qui autorisent les États-Unis à poursuivre des entreprises étrangères dès lors qu’elles ne respectent pas leur propre législation. L’OMC devrait également s’inquiéter des mesures prises pour subventionner les entreprises en lien avec la transition énergétique.
Une surenchère est en passe de s’instaurer entre les grandes puissances au détriment des pays émergents ou en voie de développement. La mise en place de taxes carbone envisagée par la Commission Européenne aux frontières de l’Union pourrait à terme réduire les échanges internationaux.
Quelles attitudes peuvent bien prendre alors les pays encore sous-développés (n’ayons pas peur des mots), face à la montée de ce protectionnisme d’un nouveau genre qui va instaurer la préférence nationale ou régionale, des normes environnementales draconiennes qui affecteront les exportations de ces pays ?
Quel pourrait être l’impact à moyen terme de ce néoprotectionnisme sur l’économie tunisienne et plus spécifiquement ses exportations vers l’Europe ? Difficile de répondre, assurément !
Si à court terme les exportations de phosphate et ses dérivés ne sont pas menacées, elles pourraient le devenir sous l’effet d’une réduction massive de l’utilisation de pesticides à l’échelle internationale !
Il en va de même de nombre de productions agricoles (agrumes, dattes…) qui ont encore peu intégré les normes sanitaires et environnementales européennes. Le préjudice commercial bien que difficile à quantifier n’en serait pas moins significatif en terme d’activité et d’emplois ! D’une manière plus générale les quotas et les accès aux marchés de l’UE pourraient être sujet à des renégociations.
D’un autre côté le pays pourrait tirer avantage de cette conjonction fortuite de facteurs entre d’une part la rupture des chaines de production tant à l’échelle internationale (Asie) et intra-européenne (Ukraine) et d’autre part sa position géostratégique et ses multiples atouts : En clair le pays pourrait bénéficier du courant de relocalisation d’industries.
Un processus de rapatriement d’activités qui est encore balbutiant mais inéluctable. Il resterait bien entendu à s’en donner les moyens sous les formes les plus diverses : études des process de produits transférables, démarche volontariste auprès des institutions et intermédiaires, réseaux d’influence et de prescripteurs, réseau social de dirigeants…etc…
Le démarrage de projets de centrales solaires (prioritairement destinée à la consommation nationale) pourrait bien constituer un signe avant-coureur (d’autres centrales orientées vers l’exportation) en liaison avec le projet El Med : un câble sous-marin (capacité de 600MW) reliant la Tunisie à l’Italie via la Sicile.
Les proximités spatiale comme socioéconomique avec les activités aéronautiques du sud européen, la présence d’un tissu existant (Safran et autres) devraient constituer un point d’appui pour autant que les acteurs s’y attèlent ! Il en va de même dans toute une série d’intrants automobiles, textile ou agroalimentaire.
Rien ne se fera tout seul ! Et certainement pas en rabâchant à longueur de temps « qu’il faut améliorer le climat des affaires », alors que pour l’essentiel celui-ci est conforme aux normes du voisinage, mais que manquent cruellement l’organisation et la volonté collective : l’actuel dispersion individuelle s’agissant de l’international ne peut en aucune façon conduire au succès…
Hadi Sraieb, Ph.D économiste du développement
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