Enseignement

Par Ridha Zahrouni : La réforme de notre école ou l’équation impossible à résoudre ?

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Lorsqu’on parle de la réforme de notre système éducatif, chaque intervenant traite des thèmes qui lui sont chers. Des thèmes qui font partie du cœur du mécanisme de l’éducation comme les programmes, les approches pédagogiques, les systèmes de notation ou le temps scolaires, ou des préalables nécessaires à cette réforme, comme la régularisation de la situation du personnel enseignant, l’amélioration des infrastructures ou la réservation des crédits nécessaires.

On parle souvent d’une école citoyenne comme alternative à l’école républicaine, une école inclusive et ouverte sur son environnement, ou d’une école de qualité, juste, équitable et qui donne accès à l’apprentissage tout au long de la vie. Mais jamais, ou presque, on évoque l’obligation de démarrer de toute urgence, la réforme l’enseignement primaire et l’impossibilité de le faire quand on persiste à ne prendre en considération que les aspects matériels, notamment ceux en rapport avec les capacités d’accueil actuelles de notre école publique, somme des capacités disponibles pour chacun de de nos établissements scolaires.

Pour comprendre ces propos et cette réalité, je vais essayer d’expliquer le fonctionnement de notre système éducatif en rapport avec les disponibilités offertes par ses 6500 établissements scolaires, notamment en personnels enseignants et en salles de cours. Il nous faut imaginer un espace qui accueille une moyenne de 2,2 millions d’élèves, et ce depuis plus de 3 décennies.

A chaque nouvelle rentrée, une moyenne 210 mille nouveaux élèves intègre cet espace à partir de la première année primaire. Et pour maintenir l’équilibre de ce système, il faut à la fois garder le même rythme de passage d’année en année, et mettre hors cet espace, un nombre d’élèves équivalent à celui des nouveaux rentrants, et c’est ce qui se passe réellement.

En effet une moyenne de 52 élèves, obtienne leur bac chaque année, le même nombre d’élèves quittent les lycées, essentiellement à cause de leur échec au bac, et une moyenne de 110 mille décrocheurs abandonne prématurément nos écoles. Ce qui nous autorise à affirmer que ces dizaines de milliers de décrocheurs avec le maintien du passage automatique sont à la fois nécessité et soupape de sécurité pour assurer le bon fonctionnement matériel de notre système éducatif.

Il nous faut réaliser que ce nombre exorbitant de décrocheurs est, aujourd’hui et depuis plusieurs décennies, à l’origine d’un gaspillage incommensurable de nos réserves publiques et privées et de la dilapidation de nos ressources humaines, notamment ceux en rapport avec l’humanité de nos jeunes, condamnés et plus que jamais, à l’impuissance intellectuelle et culturelle, à l’exclusion économique, technologique et scientifique ; aux divers dérives sociaux et aux complexes de l’incompétence dans ses formes les plus perverses, celles de l’illusion de la connaissance et de la sacralisation de l’ignorance.

Une réalité à la fois amère et préjudiciable, qui nous a été imposée depuis le début des années 90 en autorisant implicitement le passage automatique. Les décideurs de l’époque ignoraient qu’en infirmant l’obligation du sixième et en rendant obligatoire l’enseignement jusqu’à l’âge de 16 ans, et ce pour traiter le problème du décrochage scolaire chez nos enfants de l’enseignement primaire, inacceptable il faut le reconnaitre, ils ont biaisé complètement notre système éducatif tout en causant d’énormes dégâts et de dommages collatéraux. Ils étaient probablement pressés pour avoir des réponses en apparence satisfaisantes, sans prendre le temps suffisant pour réfléchir sur les vraies solutions à mettre en application à résoudre le problème.

En effet, pour que la réforme de notre système éducatif ait un sens concret, il faut abolir les traditions du passage automatique et rendre obligatoire le sixième et le neuvième.

Notre ancienne ministre de l’éducation, interrogée sur la possibilité de revenir à l’obligation du sixième, a évoqué la contrainte de la capacité d’accueil comme principale obstacle à la mise en œuvre de cette disposition, et elle n’a pas tort, uniquement de son point de vue. Il lui faudrait effectivement disposer de 160 mille places en sus des 200 mille places disponibles, et ce pour chacune des classes de la première et de la sixième année primaire et pour la neuvième année préparatoire, si l’on considère un taux de passage et de réussite aux examens nationaux de 20%, non loin de la réalité. Une équation devenue impossible à résoudre avec nos moyens actuels, si on persiste à traiter ce dossier comme on l’a toujours fait, c’est-à-dire superficiellement et sans aucune perspective d’avenir.

Alors qu’en se débarrassant de nos paradigmes désuets et des éventuelles pressions, on doit réaliser l’existence de plusieurs solutions aptes à nous fournir des capacités supplémentaires pour résorber le surplus au niveau des effectifs de nos élèves, quand ils sont obligés de redoubler leur classes. Dans l’immédiat, on pourrait décider de l’allongement de rythme solaire de 3 semaines en démarrant l’année scolaire le premier septembre et en réduisant d’une semaine, les vacances au cours de l’année. Plusieurs pays ont une année scolaire qui dure plus de 38 semaines. Ce qui nous permettrait de gagner 10 % de temps scolaire. C’est comme si on a recruté 15000 enseignants et on a construit 650 établissements scolaires sans dépenser un sou des caisses de l’Etat. L’allègement des programmes, notamment pour les enfants du primaire et l’administration des matières scientifiques en français pour les élèves de l’enseignement préparatoire permettent également de récupérer un temps scolaire important pour le système et un temps social nécessaire pour les apprenants.

Toutefois, la réussite de la reconstruction de notre école passe obligatoirement par la résolution des problèmes de la phase primaire qui fait partie des préalables indispensables et incontournables pour démarrer avec succès le projet de la réforme. En d’autres mots, il nous faut assurer les conditions nécessaires pour que l’enseignement primaire garantisse le niveau d’instruction requis ouvrant la voie au maximum de nos enfants, plus de 80 %, pour progresser, année après année et avec mérite, dans leur cursus scolaire.

Ce qui permettrait de résoudre le plus gros des autres défaillances dont souffre notre système éducatif aujourd’hui, notamment l’érosion de la qualité de notre école, l’épidémie décrochage scolaire, la prolifération des cours particuliers, la fuite vers l’enseignement privé publiques et la multiplication des cas de violence.

Cela va sans dire que l’on ne doit aucunement ignorer les phases d’enseignement préparatoire, secondaire et supérieur ainsi que la formation professionnelle qui doivent être vus et traités dans le cadre d’une vision globale de la réforme de notre système éducatif.

En conclusion, pour aller vraiment de l’avant, il nous faut nous libérer des formules toutes faites et des visions à très court termes pour prospecter un bel avenir pour notre école avec des objectifs à la fois ambitieux et réalisables, et qui sont nécessaires pour bâtir un avenir radieux pour nos enfants et pour notre pays.

Nous n’avons d’autre choix que de sortir des contraintes de la gestion quotidienne de notre école et de ses crises sans fin. Il nous faut être à la fois audacieux et résilients, imposer des politiques créatives et dessiner les contours notre école demain et de son apport, en personnalisant l’enseignement pour être de qualité et pour le rendre juste et équitable en tenant compte des aptitudes, des perspectives et des potentialités de chacun de nos élèves et de notre vision future pour la Tunisie.

 Avec une école qui tombe en ruine, aucune société ne pourrait espérer des jours meilleurs. Averroès disait que l’ignorance mène à la peur et la peur génère la détestation et la détestation provoque la violence.

 

 

 

 

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Publié par
Tunisie Numérique