Société

Par Ridha Zahrouni : Lettre ouverte à Monsieur le Président de la République

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j’ai vraiment peur de l’avenir qui se profile pour mes enfants et pour mes petits enfants” 

Ridha Zahrouni

Citoyen tunisien, officier supérieur de l’armée à la retraite.

La plus grave,  la plus couteuse et la plus douloureuses des leçons reçues par l’humanité entière a été la deuxième guerre mondiale avec tous les désastres qu’elle a causés.  Un conflit armée, le plus vaste que l’humanité ait eu à vivre, plus de 100 millions de combattants de 61 nations différentes, environ 62 millions de personnes tuées dont une majorité de civils, des traumatismes collectifs et individuels considérables, des dégâts matériels qu’on a pas su estimés à ce jour, des villes entières détruites et des pays complètement violentés. Et comme cause principale à cette catastrophe humaine, la victoire reportée par les alliés lors de la première guerre mondiale, la guerre 14-18, et essentiellement le traité imposé aux vaincus.

Par ce traité, dit de Versailles signé le 28 juin 1919, les pays alliés conduits par les américains, les anglais et les français ont bien veillé à se venger et faire ramper l’Allemagne en lui imposant un lourd tribut à la fois financier et moral qu’elle devrait payé tout en la débarrassant de son armée et de ses colonies. Un traité, sous forme de diktat, a amplifié le sentiment de rancœur chez la classe politique allemande et au sein de l’armée qui rejoindra les nazis après l’ascension d’Hitler au pouvoir. Dans une conjoncture économique très difficile et un fort ressentiment d’humiliation vécu en tant que tel par tous les allemands, Adolf Hitler a trouvé un terrain propice pour convaincre toute l’Allemagne de se rallier à sa cause, en promulguant ses lois racistes et en engageant la mise en œuvre de sa politique expansionniste en commençant par l’envahissement de la Pologne.

La leçon étant bien assimilée, et bien que les alliés ont gagné une fois de plus la deuxième guerre mondiale, les pays victorieux, à leur tête les américains, les anglais et les russes ont changé complètement d’approche et de stratégie envers le camp des vaincus notamment l’Allemagne, l’Italie et le Japon. Des pays qui ont banni la guerre et qui sont aujourd’hui plus ou moins associés dans l’effort international pour le maintien de la paix et pour la création de la richesse et du confort pour l’Homme en tant que tel. Si je vous relate cette rhétorique en rapport avec notre passé, nous les être humains, c’est pour mettre l’accent sur l’importance de l’état d’esprit avec la quelle le vainqueur doit se comporter avec le vaincu, soit en aiguisant chez lui un sentiment de haine et de vengeance pour finir par redevenir un farouche ennemi, soit en le ramenant à s’allier progressivement à sa cause dans l’espoir de faire de lui un vrai ami.

 Juste après la déchéance des pouvoirs de Ben Ali en Tunisie et de Hosni Moubarak en Egypte successivement en janvier et février 2011, Nelson Mandela nous écrivait en Aout de la même année à nous les tunisiens et à nos frères les égyptiens, sa fameuse lettre dont je retiens les principaux extraits suivants : “Je suis sorti à la vie après 27 années d’emprisonnement, parce que j’ai rêvé tout ce temps de voir mon pays se débarrasser de l’injustice, de l’oppression et du totalitarisme. Bien que j’ai vécu un instant d’une immense émotion devant la porte de la  Prison de Victor Verster, je vais revoir le visage de mes enfants et de leur mère, une question hantait mon esprit et portant sur la façon de me comporter avec l’héritage de l’oppression pour bâtir la justice à sa place”… “Bâtir la justice est plus difficile que de détruire l’injustice”. Il nous disait également dans sa lettre que “ceux qui faisaient partie du précédent régime, sont in fine des citoyens du pays, les contenir, chercher à pardonner est le grand cadeau que vous pouvez offrir au pays à ce stade de sa révolution. Les rassembler pour les jeter à la mer ou les écarter définitivement des affaires du pays est inenvisageable. Ils ont le droit de s’exprimer, un droit qu’il faudrait respecter comme condition élémentaire à la réussite de la révolution”.

Mandela, très sincère dans ses convictions, a fait de l’unité nationale sa mission principale pour ne pas dire son unique obsession lorsqu’il est devenu président de l’Afrique du Sud, et il n’a raté aucune occasion pour atteindre son objectif, y compris le recours au sport. Lors de la coupe du monde du rugby organisée en 1995 et remportée par l’Afrique du Sud sur son sol, le Président sud africain a réussi à rassembler et noirs et blancs derrière son équipe nationale, donc derrière la nation, bien que le rugby était considéré par les noirs comme un sport discriminatoire par excellence, étant réservé uniquement pour les blancs. Mais, malheureusement, et l’Egypte et la Tunisie ont agit tout à fait dans le sens contraire des conseils de Mandela. On a vécu la chute du pouvoir des frères musulmans en Egypte avec le renversement de leur président Morsi en juillet 2013. Et la Tunisie vit encore ans dans les décombres de la gestion des frères musulmans du Nahdha, même après son éviction en juillet 2021, à cause de son incompétence, de son esprit de butin de guerre et sa volonté de revanche pour ne pas dire vengeance.

  1. le Président, j’ai paraphrasé mes propos par ce modeste rappel historique considérant que les affaires politiques se gèrent chez nous en Tunisie comme une vraie guerre et pour démontrer que notre pays post 14 janvier 2011 s’est faite gérée contre toute logique du bon sens qu’il soit historique, social, politique ou économique. La Tunisie n’a jamais été aussi mal et aussi divisée qu’aujourd’hui. Nous n’avons nullement les moyens de nous permettre de dilapider nos ressources en différenciant la société et en la catégorisant. Suivant le camps qu’on défend et des idées qu’on porte, on pourrait être taxé de la chose ou de son contraire, traitre ou patriote, révolutionnaire ou antirévolutionnaire ou rcdiste, putschiste ou légaliste, obscurantiste ou hâtée, pro 25 juillet ou pro Nahdha, intelligent ou idiot, etc. Chacun défend avec vigueur son camp jusqu’à limite de la violence non sanctionnée légalement. Il y’a de la haine, beaucoup de haine, du refus de l’autre et de ses idées, de l’intimidation, de la calomnie, etc. Et pendant ce temps le pays avance mais en reculant, c’est-à-dire dans en opposition avec les exigences de développement, de la concorde, de l’unité, de la stabilité et de la sécurité.
  2. le Président, gérer un pays n’est, certes, jamais une chose facile. Des fois un père de famille trouve des difficultés pour imposer un compromis équitable à ses enfants. Un Chef d’Etat a ses propres convictions et des valeurs qu’il estime de son devoir de les faire respecter. Mais, il a besoin pour prendre ses décisions de se référer à des expertises, sincères, objectifs et de compétence, pratiquement dans tous les domaines, notamment politiques, économiques, diplomatiques, sécuritaires et de santé mais également sociales, humaines et historiques. Un président décide de l’instant et du quotidien mais il doit être en mesure d’anticiper l’avenir, pour prévenir les crises et pour prospecter toutes les opportunités de développement. Aujourd’hui, nous avons besoin plus que jamais d’une politique qui vise a renforcer la cohésion du peuple, l’unité nationale et la solidarité sociale, une politique qui capitalise sur les acquis et qui multiplie les efforts pour les faire converger vers nos objectifs communs et en rapport avec l’intérêt du citoyen lui même garant de l’intérêt national. Le Tunisien, M. le Président, a besoin de manger à sa faim lui et sa famille, il a besoin d’être rassuré sur la façon dont il doit se soigner, lui ou l’un des membres de sa famille, quand ils tombent malades, il besoin qu’on s’occupe de l’éducation de ses enfants et de ne pas s’inquiéter pour leur avenir, il a besoin de sécurité, de respect et de bonheur. Il a besoin quand il regarde devant lui, de sentir l’espoir de voir des jours meilleurs, de se sentir fier d’être tunisien, de se sentir volontairement obligé de donner le mieux de lui-même pour son pays.
  3. le Président de la République, certes c’est important pour vous de voir l’œuvre que voulez bâtir se construire jour après jour, mois après mois et année après année. Mais le plus important reste la pérennité de tenue cette œuvre eu égard des aléas de la vie et son ancrage dans le temps, dans les convictions du citoyen et dans l’histoire du pays une fois que vous quittez le pouvoir, et vous allez quitter un jour le pouvoir. Si non chaque responsable qui vient à la tête de l’Etat déconstruit tous ce qui est bâtit avant lui pour nous imposer sa propre bâtisse. Je ne pense pas que c’est ce que vous projetez ou vous souhaitez pour la Tunisie, M. le Président.
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Publié par
Tunisie Numérique